Il y a peu, certains dirigeants d’agences de communication s’exprimaient sur la notion de respect. Ainsi, si l’un de leurs collaborateurs ne se sentait pas à l’aise pour travailler sur un client en particulier (pour des raisons éthiques en général), ils respectaient leurs convictions et les affectaient sur d’autres clients. Récemment, je suis tombé sur un autre papier qui traitait des entreprises qui préfèrent renoncer à faire du chiffre d’affaires plutôt que d’accepter les demandes de clients qui, pour elles, manquent d’éthique. Je dois vous avouer que ces prises de position me laissent perplexe…
Oh, bien sûr, je n’ignore nullement l’irruption pressante des injonctions éthiques à tous les étages des agences de communication. Souvent même, je m’en réjouis. Les notions de transparence, d’engagement sociétal, de participation, de développement durable, de tolérance ou d’inclusivité ont beaucoup progressé ces dernières années ; et même s’il reste du chemin à parcourir, il faut se réjouir des prises de conscience et des progrès réalisés. Mieux, la loi Pacte de 2019 a permis aux entreprises de se fixer de réels objectifs sociétaux et de dépasser la stricte nécessité de croissance et de rentabilité, pour prendre pleinement leur part à l’amélioration de nos conditions de vie et la progression de notre monde.
Dans ce contexte nouveau, les dirigeants d’agence deviennent plus regardants sur les engagements éthiques de leurs clients. Est-il encore possible de travailler pour un pétrolier, un fabricant de mobiles utilisant des métaux rares, une entreprise de confection faisant potentiellement travailler des enfants, ou même une entreprise de charcuterie ? Une agence affirmant cette sélectivité – en renonçant au passage à du chiffre d’affaires – ferait ainsi d’une pierre deux coups : soigner l’image de l’agence (car on clame cette sélectivité) et renforcer l’adhésion des salariés (car on donne alors aux équipes un motif de fierté). C’est cool d’être un mec bien !
Pourtant, cette logique vertueuse me dérange. D’abord, renoncer à un prospect ou même à un client pour de tels motifs est un luxe qu’il faut pouvoir se permettre. Diriger une agence, c’est d’abord en assurer sa pérennité et le développement personnel de ses salariés. Pour cela, il faut des clients et de nombreuses agences n’ont pas la possibilité d’exercer cette sélectivité.
Mais surtout, il me semble que cette logique éthique peut être étendue à presque tous les domaines d’activité et que s’y engager annihile d’emblée toute limite.
Faisons enfin un pot commun bien malodorant dans lequel nous mettons les avocats, les entreprises de recouvrement, les crèches, les maisons de retraite, la cosmétologie, l’hôtellerie, le cinéma, les huissiers de justice, la presse, le tabac et les alcools, l’astrologie et la voyance.
Alors, où est la limite ? On voit bien qu’elle est difficile à définir et éminemment subjective. A ce train-là, on devrait ne travailler pour personne et aller élever des chèvres si l’on voulait 100 % de vertu.
Allons plus loin : est-ce au salarié de faire valoir son éthique personnelle (parfaitement respectable au demeurant) contre la marche éventuelle des affaires de son employeur qui ne nourrit ? Je n’en suis pas sûr. Charge à lui de prendre ses responsabilités le cas échéant.
Pour ma part, je préfère apprécier les choses au cas par cas, et m’efforcer de garder bon sens et pondération. Je me méfie des postures et des affirmations de principe. Je crois même volontiers qu’on est plus utile à l’intérieur du système qu’à l’extérieur et « contre ». Je sais bien qu’une agence digitale ne peut transformer totalement les valeurs ou les pratiques de ses clients quand celles-ci sont discutables. Mais il me semble qu’elle peut contribuer à une sensibilisation de ses dirigeants et de ses équipes en travaillant avec elle, sans pour autant se compromettre ou s’associer à des convictions qui ne seraient pas les siennes.
Emmanuel de Saint-Bon,
DG de l’agence Roxane.
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